L'imprimerie et le piège du greenwashing

Dans les métiers de l'imprimerie comme dans la plupart des secteurs, la mode est au vert. Pas à l'encre ni au Pantone : plutôt à une bonne couche de peinture verte bien épaisse censée recouvrir les aspects les moins reluisants de cette industrie. En d'autres termes, il faut faire bio, il faut faire beau, il faut faire écolo. C'est ce que l'on appelle le “greenwashing”, ou l'éco-blanchiment en bon français.

Il en est dans ce domaine comme dans bien d'autres : il existe des gens sérieux, des professionnels consciencieux, honnêtes et rigoureux. Et puis il y a les autres : ceux qui profitent de la vague verte pour gagner de nouveaux clients, ou éviter d'en perdre, ou tout simplement se donner bonne conscience.

Lorsqu'on est acheteur de services d'imprimerie, il est franchement difficile de s'y retrouver dans la jungle des labels et certifications qui s'affichent au fronton des imprimeries.
Voici quelques conseils, issus de ma propre expérience, et que je vous invite à largement commenter et critiquer !

1. Commencez par faire votre autocritique
Charité bien ordonnée commence par soi-même. Avant d'exiger de vos fournisseurs d'être vertueux, commencez par réfléchir à ce que vous leur demandez.
Pour la petite histoire, un client m'a un jour demandé de basculer tout son magazine en papier recyclé, pour une démarche écolo-machin, et pour afficher un joli logo. Sauf que… rapidement, il a trouvé que le papier manquait de “main”, c'est-à-dire de tenue par rapport à l'ancien papier.
Et donc, il a demandé qu'on applique… un pelliculage sur le papier recyclé. L’opération revient à plaquer une feuille de plastique sur le papier, ce qui le rend de fait totalement in-recyclable. Un véritable non-sens écologique, du même genre que de louer un hélico pour faire des photos afin de dénoncer les effets du réchauffement climatique… ;-)

Cet exemple vous paraît délirant ? N'importe quel imprimeur vous en citera des similaires.
Donc soyez raisonnable : évitez les vernis, les pelliculages… et avant chaque projet, demandez l'avis d'un professionnel, soit chez l'imprimeur, soit dans une agence de communication. Et surtout, écoutez ses conseils…

2. Ecologie ne rime pas forcément avec papier recyclé
On nous martèle en permanence qu'il faut recycler, et que le papier recyclé, c'est le top.
En grande partie, c'est vrai. S'il est essentiel de recycler notre papier, j'ajouterais quelques bémols :
  • avant de penser à recycler, pensez à moins produire : donc réfléchissez à la manière dont vous pouvez réduire votre production d'imprimés. Soit en utilisant des procédés qui permettent de commander au fil de vos besoins (le numérique et le e-procurement sont très intéressants à ce sujet) et donc éviter de gérer des gros volumes qui parfois finissent à la benne. Soit en choisissant des supports numériques lorsque c'est approprié : par exemple, opter pour des versions PDF de vos documentations, des catalogues électroniques…
  • la filière papier est essentielle, ne l'oublions pas : j'ai travaillé il y a quelques années pour un exploitant forestier. Bien sûr, il était contre le papier recyclé, le contraire m'aurait étonné. Mais il m'a expliqué que les déchets de ses scieries étaient vendus aux papetiers pour fabriquer de la pâte à papier. On ne coupe plus d'arbres pour faire du papier en France, du moins, c'est ce qu'il m'a dit. C'est à vérifier. Par contre, il m'a expliqué que sans cette vente de déchets de scierie pour faire de la pâte à papier, son activité ne serait plus rentable économiquement, et ce qui nuirait à la filière forestière, qui rappelons-le entretient et valorise nos forêts. Donc je pose cette question : entre du papier recyclé produit au Danemark et acheminé en France par camions, et du papier “classique”, produit dans nos contrées, je ne sais pas lequel des deux à le meilleur – ou le moins pire – bilan carbone ;
  • il existe des labels pour les papiers non-recyclés : depuis 10 ans, les papetiers et les professionnels du bois font des efforts énormes. Des labels reconnus attestent de la manière dont sont gérés les forêts. Si vous n'optez pas pour un papier recyclé, pour diverses raisons, vous pouvez choisir du papier “classique”, à condition qu'il soit certifié FSC ou PEFC. A ma connaissance, ce sont les 2 seuls labels véritables, qui vous garantissent un achat responsable, et qui vous affranchissent d'acheter du papier qui proviendraient de sources “douteuses”, tels que les proposent certains papetiers, notamment asiatiques.
  • Recyclé + FSC : prenez le meilleur des deux mondes ! le papier recyclé n'est pas toujours très flatteur, mais il donne une belle image à l'entreprise. Et le papier FSC s'il est très beau, est moins connu du grand public. Sachez qu'aujourd'hui, des papetiers proposent de nouveaux papiers magnifiques, composés d'un mélange de papier recyclé et de papier FSC. C'est à mon avis un des meilleurs compromis.
3. Faites l'audit de votre imprimeur
Aujourd'hui, quasiment tous les imprimeurs arborent des labels liés au développement durable. On s'y perd franchement, entre les labels de corporation, les normes ISO, les labels auto-promus à la limite de la légalité…

Je vous conseille donc :
  • de privilégier les imprimeurs qui ont une démarche ISO 14001, FSC et PEFC. Ce sont des normes véritablement sérieuses, qui exigent un suivi dans le temps pour être renouvellées…
  • de vous intéresser aux imprimeurs qui ont le label "Imprim'vert", mais en veillant à ce que ce label soit renouvellé chaque année. C'est une démarche constante qu'il faut répéter dans le temps…
  • de procéder à votre propre audit : en effet, il existe énormément de paramètres qui influent sur l'impact environnemental de votre imprimeur. Le type d'encres qu'il utilise, la manière dont il retraite ses déchets, la façon dont il est organisé… Le WWF a publié un fantastique document à ce sujet : il s'agit d'une grille d'audit des imprimeurs, qui passe en revue chacun de ces aspects. C'est très pertinent.
  • d'opter pour des plateformes de dématérialisation : la création des supports de communication est une activité génératrice de pollution. Impressions à n'en plus finir, réunions, déplacements, supports magnétiques jetables, épreuves de validation… vous pouvez réduire tout cela en vous équipant d'une plateforme éditoriale web-to-print, ou en choisissant un imprimeur qui en est équipé. Pour ceux que le sujet intéresse, j'avais rédigé un livre blanc à ce sujet il y a deux ans.

En conclusion…
Il est louable et même essentiel de réfléchir à la réduction de son empreinte environnementale. Mais quitte à le faire, faites-le de façon éclairée, en vous posant les bonnes questions, pour choisir les bons interlocuteurs. Ne cédez pas aux sirènes du greenwashing !!
Et si vous êtes perdus, n'hésitez pas à faire appel à des spécialistes qui vous conseilleront dans cette démarche.

Pour terminer, j'ai dû nécessairement louper des certifications, ou des normes. N'hésitez pas à m'en faire part, je corrigerai mon article au fur et à mesure.
A+


************** DERNIÈRE MINUTE ***************
Je voudrais vous inciter à lire un excellent blog que ce post m'a permis de découvrir : celui de l'imprimerie Villière, qui milite en ce sens.

Je vous conseille notamment de consulter leur post sur le sujet des encres végétales qui, comme je l'ignorais, sont constituées à base… d'huile de palme.