Helloprint et les limites des modèles "cash-burners" en temps de crise

 
Créée en 2013 à Rotterdam en Hollande par Hans Scheffer (fondateur de FlyerZone et Drukland), Marco Geeratz et Michael Heerkens [source : Crunchbase], Helloprint s’est rapidement imposé sur le marché de l’imprimerie en ligne grâce à une croissance fulgurante, portée par des prix de vente attractifs, des interfaces web bien pensées, et des équipes à l’écoute du marché… Les fondateurs ont ainsi appliqué à leur entreprise les codes des startups sur trois axes :
  1. Une expansion rapide sur les Pays-Bas, la Belgique, la France, l’Espagne et le Royaume-Uni
  2. Des levées de fonds
  3. Une culture d’entreprise extrêmement jeune, « disruptive », à des années lumière de l’imprimerie traditionnelle. En témoigne ce clip récent…
 
 
En 7 ans, la startup du print est passée de 0 à 65 M.€ de chiffre d’affaires, et de 0 à 190 collaborateurs, en réussissant à développer un méta-catalogue de plusieurs millions de références ! Ce modèle de croissance repose sur le principe du dropshipping, l’une des facettes des places de marché : Helloprint via son site et son API agglomère des commandes en captant de nouveaux clients, et ces commandes sont ensuite dispatchées vers des ateliers sous-traitants qui produisent et expédient sous la marque Helloprint, comme l’indiquent la fiche CrunchBase et l’article de SiliconCanals
En synthèse, Helloprint a réussi à décoller comme une fusée – saluée par un prix de l’Etoile Montante Deloitte Fast’50 Rising Star – en appliquant des recettes éprouvées dans le eCommerce et les startups au monde de l’imprimerie, avec méthode, efficacité… et beaucoup de moyens.
 

Plusieurs levées de fonds, dont la dernière auprès de Bregal et Project A

Pour financer sa croissance, les fondateurs d’Helloprint ont levé des fonds à plusieurs reprises, 3 millions d’euros en 2016 et plusieurs millions – le chiffre reste confidentiel – en 2018, auprès de VCs du nom de Project A et de Bregal Unternehmerkapital (source Tech.eu). Bregal rappelons-le, qui est également le propriétaire de OnlinePrinters depuis 2016 [source]. Ce cycle suit là-aussi les étapes « traditionnelles » du développement d’une startup, avec plusieurs tours de table (ou rounds)…
 

2020 : soudain, le Covid coupe ses moteurs à la fusée…

Jusque-là, l’aventure Helloprint ressemblait à un sans-faute, ses dirigeants réussissant à « disrupter » un monde qui avait déjà été bousculé par les premières startups du web-to-print dans les années 2000… Mais la crise du Covid est passée par là : brutalement, les moteurs de la fusée se sont asphyxiés en pleine montée. Comme le relate l’article de PrintWeek, mi-mars, l’activité a chuté de près de 80% en quelques semaines dès que la pandémie s’est répandue en Espagne et Italie puis dans le reste de l’Europe. Privée de ses sources de revenu, l’entreprise s’est rapidement retrouvée en difficulté, au point qu’elle aurait demandé – toujours selon Printweek – à ses sous-traitants (dont ses ateliers de production, mais aussi Google), d’accepter de réduire le montant de leurs créances ou de les réechelonner sur plusieurs années, avec intérêts, afin d’aider Helloprint à survivre à cette crise. Parmi les ateliers qui jouent ainsi la variable d'ajustement, la bronca monte face à ces propositions unilatérales, et les commentaires de l’article de Printweek illustrent parfaitement l’état d’esprit des sous-traitants, particulièrement remontés contre leur client et ses méthodes… mais aussi plus largement, contre ce modèle de croissance à outrance, sans recherche de rentabilité, qualifié d'absurde.
 

Les startups et le modèle “cash-burner”

Je comprends parfaitement les réactions que suscite l’annonce d’Helloprint. Pour autant, je pense qu’elles n’ont rien de surprenant… Pour avoir accompagné il y a quelques années plusieurs startups en mentoring, j’ai découvert les principes qui régissent le monde des startuppers et des investisseurs. L’exemple de la fusée est particulièrement éloquent : comme elle, une startup a besoin de décoller vite, pour atteindre une orbite qui va lui permettre de se stabiliser. Pendant sa phase de montée, la fusée va brûler une quantité astronomique de carburant. Pour les startups, c’est du cash, qu’elles utilisent généralement pour :
  1. acquérir de l’audience à marche forcée
  2. augmenter leur chiffre d’affaires de manière exponentielle
  3. prendre des parts de marché rapidement et durablement, quitte dans certains cas à pratiquer une forme de vente à perte, ou de dumping…
Désolé de vous l’apprendre si vous ne le savez pas, mais ce modèle n’a rien de nouveau. Pendant de nombreuses années, Amazon s’est ainsi développée en perdant beaucoup d’argent… Et la bien-connue « Vinted » est toujours loin d’être rentable, 10 ans après son lancement. Mais que cherchent alors les investisseurs pour placer leur argent dans des puits sans fond ? Et bien leur logique n’est pas celle d’une gestion « en bon père de famille »… Les investisseurs obéissent selon moi à deux objectifs :
  • défiscaliser – souvent – en investissant dans des entreprises, et donc en jouant sur des économies d’impôts à long terme
  • espérer une forte plus-value lors d’une revente éventuelle de leur startup
La rentabilité immédiate du modèle économique d’une startup n’est donc pas le principe fondamental qu'il devrait être. Je sais à quel point cela peut paraître absurde – et je partage ce point de vue. Personnellement, en approchant startups et VCs, j’ai eu l’impression d’assister à une course hippique, où des joueurs fortunés miseraient des millions sur des canassons, en espérant que leur élu devienne une star ou un étalon…
Ce qui compte finalement pour une startup, c’est qu’elle fasse du chiffre, qu’elle affiche une croissance « à deux chiffres » et qu’elle capte une forte audience… Marge et rentabilité sont plutôt exclus de l’équation… Malheureusement, ça se résume souvent à cela.
 

Eviter de jeter le bébé avec l’eau du bain… et raisonner avec pragmatisme

Pour un sous-traitant, une fois le choc de l’annonce d’Helloprint passé, il faut adapter sa stratégie. Céder et faire une croix sur ses factures, ou les étaler sur plusieurs années, ou aller au conflit, avec un risque clair que l’entreprise cesse son activité. Personnellement, si c’est réalisable juridiquement, je conseillerai d’échanger la créance contre des actions. Qui sait, avec un peu de chance, si l’entreprise redémarre, cela peut permettre à l’imprimeur sous-traitant de réaliser, à terme, une petite plus-value.
 
Je pense que la seconde tentation, face à cette situation, c’est de prendre la ferme résolution de ne plus bosser avec des plateformes type marketplace ou dropshipping. En mode « On ne m’y reprendra plus »… Là-aussi, je pense qu’il faut agir avec pragmatisme. Les marketplaces, les structures fabless, les réseaux de cloud printing vont se multiplier dans les années à venir, et par certains côtés, elles peuvent représenter une opportunité pour certains imprimeurs. Elles permettent d’apporter un flux de commandes réguliers et standardisés, qui font tourner les machines, et elles permettent aussi de s’acculturer aux processes de la vente en ligne… Mais il faut être conscient des contraintes et des risques : délais de production courts, prix tirés vers le bas, conditions de paiement « élastiques »… et risque que tout s’arrête parfois rapidement, si le donneur d’ordre décide de confier l’impression à quelqu’un d’autre ou d’internaliser subito… Et puis aussi, accepter de travailler avec des clients dont les codes culturels et business ne sont pas toujours les vôtres, façon Loup de WallStreet ;-)
 
Si vous êtes sous-traitant, je vous conseillerai – si cela est pertinent – d’utiliser les plateformes fabless ou cloudprinting comme des opportunités temporaires, mais en diluant le risque
  1. multiplier les clients plateformes, de façon à ce qu'aucun d’entre eux ne représente plus de 10% de votre activité
  2. contractualiser votre relation avec la plateforme, avec engagements de volumes, quantités planchers-plafonds et de délais de règlements
  3. assurer vos factures lorsque c’est possible
  4. exister par vous-même en tant que marque sur le web, avec vos propres clients, de façon à ce que la sous-traitance ne représente pas plus de 30% de votre chiffre global
De cette façon, vous pouvez continuer de servir ces structures sans que leur arrêt ne représente un risque vital pour vous, et tout en développant de votre côté, votre canal de vente digital. De la distribution multicanal, avec une vente en mode hybride…
 
 
 
 
Crédit photo : Pixabay