Web-to-print 'painpoints' : le tabou des variables des commerciaux
La mise en place d’un projet de web-to-print constitue un bouleversement dans les imprimeries, bouleversement qui va souvent plus loin que ce que leurs dirigeant.e.s imaginaient à l’origine. J’ai déjà évoqué le point de douleur que constitue la politique de prix et la divulgation potentielle de ses tarifs à ses concurrents.
Il est en un encore plus « tabou » et douloureux dans bon nombre d’imprimeries tradis, surtout en France : la question du variable des commerciaux. En effet, traditionnellement dans l’imprimerie comme dans bien d’autres secteurs, les commerciaux de terrain ou sédentaires ont une part de rémunération variables, basée selon les entreprises sur :
- le chiffre d’affaires de leur portefeuille de client
- la marge dégagée sur leur portefeuille
- la croissance de ce portefeuille
- l’acquisition de nouveaux clients…
Certaines imprimeries intègrent une diminution progressive année après année, après l’ouverture initiale…
En général, il s’agit d’un fonctionnement opérationnel depuis des années, avec lequel tout le monde est à l’aise, et qui parfois a tendance à « ronronner » tranquillement. Ce modèle comporte un problème selon moi, c’est qu’il incite à l’appropriation des clients par chaque commercial, alors que les clients doivent appartenir à une entreprise, sans limite de canal d’interactions.
Le jour où vous commencez à évoquer la possibilité d’une boutique en ligne, il y a fort à parier que vos commerciaux vont tordre le nez, en sous-entendant que « ça ne fonctionnera pas avec leurs clients ». Les raisons invoquées ? Leurs clients ne sont pas mûrs pour l’achat en ligne, ils ont besoin de conseil à chaque fois, leurs demandes sont trops spécifiques, ils ne veulent pas s’embêter, ils veulent un interlocuteur en chair et en os… les motivations / prétextes ne manquent pas. Or en réalité, si on creuse, on se rend vite compte que la crainte principale du commercial, c’est que si son client commande en ligne au lieu de passer par elle / lui, il perdra sa commission. Et il aura plus de difficultés à atteindre ses objectifs annuels.
Vous trouvez ça ridicule ? Non, c’est humain. Mais on touche du doigt un point qui peut faire « capoter » votre projet.
Si vous ne faites rien, vous opposerez commerciaux et web-to-print
Bon nombre d’imprimeurs font le choix de contourner ce problème (et accessoirement, le problème des grilles de prix) en créant une autre entité, sous une autre marque. Ils distinguent donc alors le web-to-print (sur lequel les commerciaux ne sont pas variabilisés) de l’imprimerie traditionnelle, et ainsi, prix comme variables sont bien gardés. Si ce schéma est séduisant en termes d’organisation interne, il se révèle vite totalement inadapté aux besoins du client. Généralement, le client comprend vite – parce que c’est un secret de polichinelle – que les deux entreprises ne font qu’une, et il navigue tranquillement de l’une à l’autre au gré de ses besoins, en comparant les prix d’une même structure sur deux canaux, complexifiant le travail du service commercial et de la compta, et rognant tranquillement mais sûrement la marge de l’entreprise qui double mécaniquement ses coûts à cause des frais engendrés par la maintenance de deux marques.
Sans compter, que les commerciaux seront toujours mécontents… Et oui, ils voient leurs clients lorgner sur le web, et leur échapper… Souvent, par maladresse, ils peuvent même dénigrer l’offre web pour tenter de conserver leurs clients dans leur giron, ce qui nuit au final à la crédibilité et à l’attractivité de toute l’entreprise.
La résultante du fait de vouloir contourner ce problème de rémunération conduit ainsi à opposer le canal ‘historique’ du canal de vente web, et personne ne sort grandi de cet affrontement qui brouille l’image de la société.
Osez prendre le taureau par les cornes
Je vous conseille de ne pas chercher à éviter le problème, mais de l’affronter directement. Vous devez expliquer la stratégie globale à vos équipes, pour les convaincre que votre web-to-print va être un atout de plus dans leur arsenal commercial, pour renforcer l’attractivité de votre entreprise. Vous devez les convaincre que vous développez une stratégie d’imprimerie en ligne pour mieux servir vos clients et pour être plus forts commercialement, et non pas pour ‘carotter’ la prime des commerciaux.
Et pour cela, il faut tout mettre sur la table : expliquer que les clients vont naviguer d’un canal à l’autre, et que cela nécessite de revoir les schémas de rémunération. Il ne serait pas juste qu’un commercial perde du variable parce que son client passe commande sur le web, mais en même temps, il n’est pas juste qu’un commercial « gagne » du variable uniquement grâce aux retombées des publicités web réalisées par le service marketing ou l’agence de SEA.
Il faut donc reprendre le schéma du parcours client dans son ensemble, en commençant par déterminer les enjeux stratégiques de votre imprimerie :
- acquisition de nouveaux clients (web / hors web)
- développement des clients existants par la fidélisation
Vos commerciaux interviennent dans ces deux canaux, mais ils ne sont pas les seuls : les équipes marketing, avec la gestion de budgets de webmarketing, contribuent à l’acquisition de nouveaux clients. Les équipes de support client, qui répondent aux mails, au chat ou au téléphone, contribuent à la conversion des primo-acheteurs. Quant à la fidélisation, elle est le fait des commerciaux, mais aussi des équipes en charge de l’administration des ventes, qui répondent aux quotidiens à nombre de questions.
Je préconise un schéma de rémunération variable qui mixe primes collectives et individuelles, et qui tienne compte des différents canaux de vente.
Par exemple :
- au niveau global des services impliqués dans l’assistance client sur le web, fixer un objectif d’ouverture de comptes et de chiffre d’affaires avec une prime globale ventilée sur tous les contributeurs
- au niveau des commerciaux :
- fixer une prime forfaitaire à l’ouverture de nouveaux comptes web et hors web, avec potentiellement une « prime » additionnelle pour les comptes web
- ajouter une prime relative au taux d’usage du web sur la clientèle existante (par exemple, s’il dépasse 40%)
- mettre en place un variable dégressif sur 3 ans indexé sur le revenu des nouveaux clients
- fixer une prime sur des paliers d’objectifs de chiffre d’affaires global
- au niveau des services d’assistance client / administration des ventes :
- mettre en place un variable sur la marge réalisée par les clients de plus d’un an
- ajouter un bonus lié à la note de satisfaction client (via vos avis certifiés ou le système de NPS de votre helpdesk). Vous pouvez aussi intégrer des délais de décroché au téléphone, ou un volume de réponses traitées
- au niveau du service marketing : proposer un bonus lié aux taux de transformation des campagnes de webmarketing (taux de clic, chiffre généré, taux de conversion…)
Tous ces objectifs peuvent être modulés soit pour permettre aux commerciaux de maintenir sur un schéma différent, leur montant de variable, voire de l’augmenter, soit pour mettre l’accent sur le digital en le rendant plus attractif notamment au lancement.
Petite recommandation : n’oubliez pas non plus les services de production, de conditionnement et d’expédition dans les bonus, ils contribuent fortement à la réussite et à la satisfaction des clients, ils doivent donc sous forme de prime globale bénéficier des fruits de leur travail, quitte à l’indexation sur des metrics de qualité.
En conclusion, anticipez ces problématiques plutôt que de les subir. Vos forces de vente sont des atouts essentiels dans la réussite d’un projet d’imprimerie en ligne, mais elles peuvent se sentir concurrencés par un site web, voire floués par certains modèles économiques. A vous de les rassurer et mieux, de les convaincre des enjeux vitaux pour votre entreprise.
Et vous, comment gérez-vous le variable de vos commerciaux dans un modèle de vente hybride ?
Image par Ryan McGuire de Pixabay